ALOTOF à Valldaura


LE PROJET ALOTOF

Le projet ALOTOF tel que décrit sur le site d’Ecos :
« Alotof [un laboratoire en plein champs] réunissant plusieurs artistes et structures culturelles est un nouveau projet de collaboration à long terme impliquant 4 partenaires : okno (be), ecos (fr), yo-yo (cz) et nadine vzw (be) et un grand nombre de partenaires associés dans toute l’Europe. » et plus loin :
« Le principe d’Alotof est de favoriser un travail de terrain en extérieur, en croisant différentes disciplines, technologies des médias et outils artistiques, d’expérimenter de nouvelles façons de créer en utilisant des nouveaux matériaux et des méthodes adaptés aux espaces extérieurs.
Alotof se développe tout au long des 4 saisons, en jouant et en tenant compte des changements environnementaux dans le temps, les différences de climat et la façon dont toutes les plantes et les animaux, les insectes et bactéries forment le consortium d’acteurs qui définissent notre environnement. »

Une de ces rencontres Alotof s’est tenue au Green Fablab de Valldaura, en Espagne du 3 au 8 mars. Rencontre à laquelle PiNG a participé.


VALLDAURA

Dans un ancien prieuré du 11ème siècle réhabilité par des étudiants de l’école d’architecture de Barcelone (IAAC), a été construit un lieu d’expérimentation sociale et technique, dédié aux croisements entre dynamique fablab et écologie. Un lieu où se pose, entre autres, la question : comment le bricolage, qui plus est numérique, peut-il résoudre certaines problématiques environnementales, alimentaires, d’autonomie ?

Le green fablab de Valldaura, c’est ainsi qu’il est présenté, dispose d’un terrain de jeu conséquent de 130 ha ainsi que d’ateliers et de matériel de pointe (découpe laser, imprimante 3D, fraiseuse etc.).

Valldaura est un projet porté par l’IAAC – l’Institute for advanced architecture of Catalonia – école d’architecture Barcelonnaise qui se veut à la pointe des savoirs-faire contemporains, disposée à bâtir les nouvelles formes de la ville du 21ème siècle. L’IAAC est également impliqué dans le réseau « FAB CENTRAL », des fablabs de Barcelone.
Valldaura est un projet soutenu par le ministère de l’industrie, de l’énergie et du tourisme, le Programme national de la recherche scientifique, du développement et de l’innovation technologique, les entreprises Endesa (l’équivalent d’EDF en France), Roca et Santa & Cole. Des universités de renommée internationale soutiennent également le projet tel que le MIT, l’université polytechnique de Catalogne et l’université autonome de Catalogne.

Valldaura n’est pas à Barcelone même, mais dans le massif boisé qui surplombe la ville, un parc naturel au cœur d’un ensemble d’agglomérations. Le prieuré culmine à 300m d’altitude. Il est entouré d’une pinède exposée versant nord, face à la ville de Sabadell, et dans le lointain, les Pyrénées. Nous sommes à la fois isolé de la fourmilière humaine et spectateurs de ses agitations tout autour de nous.
Valldaura, « self sufficient lab », propose d’explorer les relations entre la nature et la ville dans une démarche d’expérimentation appuyée par 8 principes, dont celui d’apprendre de la nature, de s’approcher de l’autonomie (alimentaire, énergétique…), de s’inspirer de la culture libre et du partage des connaissances…

Pour aboutir à leurs buts dans des conditions optimales, les membres de Valldaura disposent de plusieurs ateliers dont un fablab, un atelier bois, des jardins en terrasses, une basse cour, des ruches etc. Des conditions favorables à l’expérimentation du concept de transition, même si actuellement nous sommes relativement éloignés de l’autonomie alimentaire et énergétique recherchée.

 

LES PARTICIPANTS À LA RENCONTRE

Vous pouvez retrouvez sur cette page la liste des participants à la semaine du workshop Alotof à Valldaura.

Dans l’ensemble les personnes présentes ont toutes des affinités plus ou moins prononcées avec les technologies, elles sont issues majoritairement de ce que l’on pourrait nommer la culture techno-scientifique. Il y a peu de jardiniers ou de « copains des bois ». C’est peut-être une difficulté sous-jacente à la dynamique de Valldaura : réunir et faire se rencontrer des personnes aussi sensibles et connaisseuses des questions écologiques que technologiques.

 

WORKSHOP P2P FOODLAB

En terme d’activités durant cette semaine, au delà de la rencontre des participants et des échanges qui se sont mis en place entre eux, un workshop était prévu auquel tous le monde se devait de participer : le workshop P2P foodlab.

La démarche instaurée par le P2Pfoodlab s’appuie sur la volonté de créer d’autres rapports entre les personnes et leur alimentation, en proposant des outils facilitant l’appropriation des modes de production alimentaires. Inspiré par le GNU manifesto, Peter, le porteur de projet, souhaite créer un modèle économique sous-tendu par le partage des connaissances, les méthodes agiles et l’appropriation des techniques.
Un des projets du P2Pfoodlab est de construire des serres avec des capteurs embarqués afin de réguler la température de la serre, l’humidité du sol, la luminosité etc.  : autant de paramètres auxquels il semble important de pouvoir avoir accès à distance. Les capteurs sont gérés par un Arduino et un Raspberry Pi qui retransmettent toutes les données en ligne quotidiennement. Ces serres sont appelées à coloniser nos interstices urbains afin que chacun puisse y faire pousser des tomates, des carottes…
Un wiki abrite la documentation du projet, le tout sous Creative commons CC-BY-SA, licence libre.

Les données récupérées par les capteurs doivent être visibles et accessibles via une plateforme équivalente à Pachube, mais en open source. Lors de la rencontre en mars, nous devions donc réaliser 10 prototypes de serres (open green houses) durant la semaine : c’est-à-dire souder tous les capteurs et composants, construire les structures, coudre les revêtements, disposer la terre …

Peter et Nicolas, référents du projet P2PFOODLAB durant le workshop Alotof, travaillent pour le Sony CSL (Sony computer science laboratory à Paris)
Ce laboratoire est donc la propriété de Sony et tout ce qui s’y passe également. Même si certains projets sont estampillés open source ou libre, il n’empêche que la paternité des projets ainsi que leur exploitation potentielle sont largement assurées par Sony. En somme le workshop P2PFOODLAB consiste à assembler des serres interactives au bénéfice de l’entreprise Sony.

En creusant un peu on se rend compte que Luc Steels « participant » ponctuel à la semaine, est directeur de ce centre de recherche. On découvre également que la seule usine qui produit des Raspberry Pi en Europe appartient à Sony et qu’il est donc intéressant pour eux de trouver des exploitations à grande échelle de ces mini ordinateurs, et qu’enfin, leur but est de vendre les kits de capteurs (les fameux sensor box).
L’aspect commercial paraît légitime, cependant, ce qui pose question, c’est l’illusion, entretenue par le folklore libriste, censée nous faire croire que nous sommes une joyeuse communauté de développeurs bénévoles, motivés par le projet de Sony. Alors, qu’en fin de compte, nous nous trouvons embarqué dans cette entreprise sans avoir été consulté au préalable, pour effectuer des tests gratuitement pour l’entreprise Sony…
Nous sommes en droit de nous poser la question de la légitimité de telles démarches qui peuvent paraître opportunistes dans un tel contexte, et des risques à ce qu’elles contaminent les dynamiques fablabs et libristes.

Par ailleurs le projet en lui même est déjà bien avancé à notre arrivée. Pas question de réfléchir ensemble à la forme de la serre, ses usages, les capteurs à utiliser, les graines à y semer… En somme d’aborder le projet sous un angle collaboratif, c’est à dire, basé sur la co-construction, le partage de connaissances et des savoirs-faire. Ici nous nous retrouvons plutôt dans des rôles d’exécutants.
À noter par ailleurs que malgré la sincérité et la bonne volonté de Peter, ses compétences de chercheur ne lui seront d’aucun secours pour identifier les graines lors de l’installation de la serre le vendredi soir. Peut-être qu’une collaboration plus poussée avec des personnes qualifiées sur les questions de jardinage, de botanique etc. eût été une riche idée pour suppléer à ce type de problématiques.

Alors qu’à deux pas de Valldaura, deux vallées plus loin dans le même parc naturel, existe un lieu autogéré abritant des jardiniers adeptes de permaculture et relativement autonomes au niveau de l’alimentation… Ce lieu c’est Can Masdeu
Autant de buts en partie atteints à Can Masdeu et visés par Valldaura. Mais alors pourquoi ces deux communautés ne se croisent-elles pas ? Pourquoi lors de ce workshop n’a-t-on pas eu un moment d’échange avec des membres de Can Masdeu ?
Une réponse fournit par John, Fablab manager de Valldaura : « ils détestent la technologie ».

Au delà de cet argument sommaire, y a-t-il dans ces collines, la possibilité d’imaginer des croisements entre ces deux communautés ? Confronter réellement les différents « praticiens » : les techno-scientifiques & hackers avec les jardiniers, cultivateurs et paysans, serait utile pour juger de la nécessité et de la valeur de tel ou tel dispositif technologique. A-t-on besoin de capteurs dans le sol pour juger de l’humidité d’un sol ? Si oui dans quel cas ? Et surtout, dans quel cas cela paraît-il être un réel impératif ? …
PRÉSENTATIONS

Durant la semaine, au cours des soirées, plusieurs présentations se sont succédées.

– Luc Steels : directeur du Sony computer science laboratory,  a partagé son point de vue sur ce qu’est la créativité.
Il a écrit un opéra sur la Singularité technologique. Il est passionné par les robots et l’intelligence artificielle.
Smart citizen : objets connectés, projet financé sur Goteo (13400$) … et KickStarter (68000$). La ville intelligente est-elle celle gérée par des capteurs et des données ? Où est l’autonomie des personnes ? La convivialité ? Les lieux de sociabilisation… ? Le débat est … ouvert ?

Fabrice : plasticien qui pratique l’auto dérision, la critique et la participation du public, au croisement de l’anarchitecture, du surréalisme et de l’arte povera 2.0.
Ecos : présentation des divers projets d’Ecos, entre vélomobiles, construction de serres urbaines, balades de découvertes de l’environnement etc.

– Jeff : présentation de son parcours de vie à travers les différentes associations qu’il a créé (ECOS, ALIS44, SNALIS, la fabrique du libre...).

Lorena : Biologiste

Refarm the city : un wiki qui documente des projets à tendance low tech pour s’approprier le jardinage à la ville (ou ailleurs).
– Okno (Gui) : habitant de la Tchéquie (dans la campagne au sud de Prague), démonstration d’ un projet d’amplificateur DIY fabriqué pour permettre la sonorisation de ses installation sonores en extérieur (panneau solaire + condensateurs pour l’énergie).

 

QUELQUES ACTIVITÉS PARALLÈLES

Dans le cadre de mon travail de recherche/Action au sein de PiNG sur les croisements entre Fablab et Écologie urbaine, j’ai pu entamer le développement d’un outil de cartographie permettant d’identifier des éléments propres au « villes en transition » : arbres fruitiers, ruches, plantes pollinisatrices, pollution des sols etc.
J’ai utilisé dans un premier temps un plugin dokuwiki permettant l’utilisation de la librairie openLayers1 de façon sommaire : tracé de zones, marquages de POI (points of interest)… Nous avons fait un brainstorming avec Annémie et Lorena sur ce qu’il pourrait être intéressant de visualiser sur une couche de ce type dans Open Street Map.
L’idée serait à long terme de pouvoir créer une couche « sustainable map » sur http://www.openstreetmap.org/ afin que tout un chacun puisse y accéder et contribuer.
Dans un premier temps les essais se sont fait sur un wiki de l’association snalis. Peut-être que cette ressource nous permettra d’avancer sur le développement.

Au cours de la semaine, une visite devait être faite au lieu Can Masdeu dont j’ai parlé plus haut. Annémie nous a missionné Léo et moi pour faire une carte afin de faciliter notre randonnée jusqu’à là-bas. Nous avons donc entamé le dessin du tracé puis nous nous sommes rendus comptet qu’il n’y avait pas d’imprimante 2D fonctionnelle dans le fablab pour imprimer notre boulot de cartographie… Nous avons donc pris ce coup du sort pour une blague surannée, à laquelle nous avons décidé de répondre par la réalisation du plan sur une plaque en bois, avec la découpe laser. Nous l’avons réalisé et nous nous en sommes servis pour nous rendre sur place.

Par ailleurs, j’ai pu observer dans le fablab un projet de scanner 3D artisanal à base de lait. Un objet est disposé dans une boite et des épaisseurs successives de lait sont ajoutées. Entre chaque ajout une photo est prise ce qui permet de faire l’acquisition, par contraste, du contour de l’objet. Une fois l’objet entièrement recouvert, il est possible de modéliser la forme 3D sur l’ordinateur.

 

CONCLUSION

La démarche du green fablab de Valldaura est prometteuse mais il serait nécessaire d’ouvrir également l’expérimentation à des personnes non issues de la culture techno-scientifique.

Les projets du type P2PFOODLAB et la façon dont il sont développés dans le fablab sont évidemment à éviter : les fablabs ne sont pas des laboratoires de recherche citoyen externalisés à bas coût au profit d’entreprises privées. Cette exploitation des concepts open source pour prendre en otage les participants à un workshop est peu enviable.

Enfin, il paraît important de continuer à explorer le croisement de communautés de plus en plus proches dans les thématiques qu’elles abordent, mais parfois éloignées dans leurs méthodes. On ne peut pas répondre systématiquement à des problématiques environnementales par ce qui paraît être des solutions d’ordre technologique et il convient de mettre en débat ce qui, dans ce domaine, est de l’ordre du nécessaire et ce qui est de l’ordre du superflu.

▸ Retrouvez les images du workshop sur la galerie photo

 

Bonus | L’histoire du WC de l’espace :

Une des salles d’eau de l’étage où nous étions tous hébergés disposait d’un mobilier entièrement électronique ce qui lui donnait un style inimitable, quelque part entre TRON et feu Windows XP. Toute la robinetterie était contrôlable par l’intermédiaire de boutons, pour choisir l’eau chaude, l’eau tiède, l’eau froide …
Seulement voilà, la première nuit, une tempête a déclenché une coupure d’électricité qui a duré jusqu’au matin. À mon réveil, ma tentative de prendre une douche s’est donc soldée par un échec, aucune des interfaces électroniques ne fonctionnant alors : il m’était impossible de prendre une douche et pire, de boire de l’eau ! Cette expérience, que je partageais pour l’occasion avec mes petits camarades de chambrée, nous a rappellé combien il est important de conserver un minimum d’autonomie vis à vis de la technologie, pour pouvoir encore avoir recours à un robinet pour étancher sa soif.


1
. Librairie javascript permettant l’usage de cartographies dynamiques intégrées à un site.

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