Festina Lente ou la déconnexion des cerveaux

Retour sur l’ouvrage de Lamberto Maffei intitulé « Hâte-toi lentement, Sommes-nous programmés pour la vitesse du monde numérique ? » Aux éditions Fyp, traduit de l’italien par Lucia di Bisceglie et Camille Zabka en avril 2016.

 

Lamberto Maffei « président de l’Académie des Lyncéens -la plus ancienne académie scientifique d’Europe- et professeur émérite de neurobiologie à l’École normale supérieure de Pise »1 présente un ouvrage qui a fait beaucoup de bruit à sa sortie en 2016 et qui a connu un succès littéraire tout à fait honorable.
Dans ce livre, monsieur Maffei explique que le fonctionnement de notre cerveau peut emprunter deux cadences : une plutôt automatique, rapide, de l’ordre du réflexe et la seconde plus lente, qui caractérise la réflexion, un rythme « propre aux animaux supérieurs et particulièrement développée chez l’homme »2. Alors que les technologies numériques nous enjoignent d’accélérer le pas, d’être réactifs et efficaces, le neurobiologiste nous met en garde contre une forme d’asservissement au premier rythme qui serait imposé par ces technologies : celui du réflexe et de la pensée rapide dans lequel « L’action immédiate l’emporte sur la réflexion »3.
La parole à l’auteur, page 15 :
« En réalité, nous savons que le cerveau humain, en raison de sa phylogenèse possède des mécanismes ancestraux rapides, automatiques ou presque, de réponse à l’environnement, ainsi que des mécanismes plus lents, qui sont apparus successivement. Les premiers sont en grande partie inconscients alors que les seconds sont le résultat de la réflexion. Cependant, de manière totalement contradictoire, il semblerait que la tendance des sociétés soit-disant développées soit d’accorder aux mécanismes automatiques une place prédominante. »
Cette accélération de la pensée induite par l’usage des technologies numériques serait très nettement favorable au marché en favorisant un grand élan consumériste collectif. Notre réflexion étant réduite à l’état de réflexe, il nous serait alors plus facile de céder aux sirènes d’un consumérisme intensif.
La parole à l’auteur, page 95 :
« Quand la pensée rapide est particulièrement efficace, elle déclenche une boulimie de consommation qui devient envie, mais aussi distraction, fuite du réel et de la dépression. »
Au delà de ces considérations politiques et économiques, Lamberto Maffei revient sur le cœur de son métier, à savoir les neurones, pour nous tenir en alerte encore une fois sur la plasticité de notre cerveau influencé par l’adoption régulière de ce rythme accéléré. On ne peux s’empêcher de penser alors aux travaux de Nicholas Carr et d’Alain Giffard  sur la lecture numérique et la plasticité du cerveau qui pointaient déjà les tendances lourdes de la lecture hypertextuelle pour nos connexions neuronales.
La parole à l’auteur, page 74 :
« Il est facile de noter une restructuration du langage phonétique et de l’écriture surtout chez les très jeunes dont la plasticité du cerveau est particulièrement élevée : ils sont devenus plus synthétiques et rapides, comme s’ils voulaient raccourcir l’espace et le temps. »

Or, l’auteur nous rappelle que cet environnement technologique pourra, dans la durée, influer sur la physiologie du cerveau pour favoriser le développement de nos réflexes au dépens de nos réflexions. Ce qui, comme il l’exprime dans la fin de l’ouvrage, nous amènerait d’une certaine façon à une forme de décroissance, non pas économique, mais cérébrale.
La parole à l’auteur, page 103 :
« (…) on pourrait assister à un retour en arrière dans le temps, c’est-à-dire à un cerveau qui aurait tendance à utiliser des fonctions plus primitives, des fonctions qui facilitent sa socialisation dans le monde globalisé et qui lui permettent d’obtenir des réponses rapides, toujours en suivant l’idée émotive, inquiète, fidéiste d’optimisation du temps (…) on arriverait au paradoxe suivant : la globalisation, but ultime de la civilisation, pourrait produire une régression du cerveau. »
Devant ce constat en forme de pavé dans la mare, Lamberto Maffei ne peut que nous inviter à un ralentissement global et à un éloge de la pensée lente, de l’esprit critique et de la réflexion favorable au langage et à l’écriture. Une redécouverte du Festina Lente (Hâte-toi lentement) inscrit sur le voûtes des salles du Palazzo Vecchio à Florence, comme pour « redonner la priorité au temps du cerveau plutôt qu’à celui des machines »4.
1 – Leclubdesjuristes.com
2 – Hâte-toi lentement, Lamberto Maffei
3 – Leclubdesjuristes.com
4 – Ibid.
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