Le GPS : signaler pour mieux disparaître?

Angoisse ou fascination, le potentiel technologique du GPS nous renvoie très vite aux visions éclairées d’Orwell et de la société de contrôle. Tous traqués, surveillés, repérés… Elle est où l’utopie alors ? Parce qu’on pourrait peut être bien la géolocaliser ? Souriez, vous naviguez.

Signaler : et le GPS fût

1961. Le Rideau de fer. La Défense américaine lance un projet de recherche à destination de ses armées lui permettant d’opérer de nouvelles stratégies militaires (application de guidage d’armes ou d’avions, positionnement et référence de temps…). Le Global Positioning System (ou Géo-Positionnement par Satellite) fait alors son apparition [1].

Très vite, l’un des signaux transmis par satellite s’avère exploitable par un monsieur-tout-le-monde-équipé-d’un-récepteur. Dès lors le système GPS se développe sous de nombreuses applications, civiles et bien entendu commerciales. Le système est cependant éprouvé suivant deux versions : le Standard Positioning System et le Precise Positioning System. Le SPS, n’étant qu’une version « dégradée » en terme de signal, autrement dit on n’autorise pas encore l’usager lambda à obtenir des informations trop précises mais on lui offre quand même la possibilité de jouir de l’offre satellitaire.

Donc la technologie GPS est là, disponible mais l’accessibilité au système est loin d’être satisfaisante. Il s’agit plutôt d’une dépendance (à un système militaire) de l’ensemble de la communauté des usagers face aux américains, en situation de monopole mondiale. Le vieux continent s’active depuis 2004 pour proposer d’ici 2012 un système opérationnel de positionnement européen sous le nom de Galiléo [2]. Histoire de s’assurer pleinement de la fiabilité et de la continuité du signal.

Apparaître : la représentation du global

Tout comme l’apparition de nouveaux modes de transport ou modes de communications qui ont modifié notre rapport au territoire, le GPS n’est pas sans influence sur l’aménagement et la représentation du paysage. Le GPS est à ce jour une des rares technologies permettant cette double inscription – réelle et mentale – dans le paysage.

Le GPS offre en effet la possibilité de « s’échapper de l’espace réel et matériel en ouvrant à l’humain partout où il se trouve un accès au monde des représentations, au paysage mental  » pour reprendre les propos de Peter Weibel [3]. Et inversement, il offre plus d’ancrage du paysage mental et psychique dans le réel. Du matériel au virtuel, de l’urbanité aux réseaux, l’articulation s’opère facilement. Si bien que dans le « paysage technologique » qui se dessine alors, la notion de rupture, discontinuité, frontière est parfois difficile à percevoir : « la nature devient « technologique » et la technologie se dissimule dans des approches « naturelles » »(Andrea Ulberger) [4].

Paradoxalement, la sensation d’évasion s’en trouve limitée. Une fois la totalité de la surface couverte de satellites qui nous abondent d’informations, nous nous trouvons face à un « monde clos, fini et global » – évoqué par Antoine Picon [5] – que nous pouvons désormais nous représenter et dont il devient difficile de fuir puisque nous en connaissons les limites…

Produire des images-flux dans un environnement non-stabilisé : une réponse provisoire ?

Le dessin, la peinture, la photo, la vidéo nous ont permis jusqu’à présent de représenter le paysage, cependant la représentation proposée a toujours été figée : même la restitution d’un paysage en mouvement est fixée à un moment ou un autre sur un support stable.

Le GPS vient ici bouleverser le processus de construction de l’image et par conséquent la représentation du territoire, en faisant émerger des images se traduisant par des coordonnées spatiales pouvant évoluer en temps réel.

Si pour Peter Weibel, le GPS se présente comme « la suite légitime de l’image, c’est une image étendue, une image opérationnelle (…) Loin d’être une fenêtre sur le monde, c’est la traduction des flux, des mobilités, des articulations, une image faite de multiples expériences et d’expérimentations qui autorisent la circulation et des passages » les points de vue sont pourtant loin de présenter la prétendue étendue du paysage. L’approche reste en effet globale et subjective. Même si le GPS permet de saisir une partie de la réalité, il s’agira toujours d’une vision tronquée, composée de données justes sur le moment, à vérifier l’instant d’après. Si le GPS n’apporte aucune réponse définitive sur le territoire, pourquoi ce même objet technologique nous fait-il craindre la surveillance absolue?

Voir apparaître/ Se voir apparaître : l’auto-observation dans la société de l’info

La surveillance nourrie les fantasmes, l’imaginaire de l’homme depuis la nuit des temps. L’arrivée des caméras de surveillance dans l’espace public n’est finalement qu’un dispositif supplémentaire : dans la rue, en acceptant la surveillance à travers le regard de l’autre, n’est-on pas déjà observés? Que dire des téléphones mobiles dont nous nous sommes équipés, sans crier gare, en moins de 10 ans?

Avec les portables, se pose la question du suivi et de la position, du « toujours joignable, toujours contrôlable ». Avec le GPS, c’est l’interaction entre l’espace réel et mental, le fait de relier une expérience physique au monde cognitif, qui vient modifier notre rapport au territoire. Je suis ici dans le paysage, je le vois apparaître en tant que représentation matérielle et je me vois apparaître dans ce même paysage en indiquant ma « géoposition » sur laquelle je peux intervenir en la qualifiant (données, informations, représentations…). Je suis dans l’expérience immatérielle de la navigation entre deux espaces.

Si derrière le GPS, on retrouve cette notion d’instrumentalisation et l’idéologie de la surveillance qui l’accompagne, à l’usage, la géolocalisation peut être mise à profit pour révéler le territoire et favoriser de nouvelles formes d’expression pour le « qualifier » ou l’enrichir. Bienvenue dans l’espace augmenté.

Disparaître : rompre les flux…

Le déploiement des médias localisés ou technologies de géopositionnement ont contribué à étendre et densifier le territoire, raison pour laquelle Lev Manovitch [6] parle davantage d’espace que de réalité augmentée. Un espace augmenté dans lequel se distinguerait ainsi trois niveaux d’intervention : la localisation, la représentation de cette localisation par le biais d’un média et l’usage de cette localisation. En effet, que faire de cette information ?

Le GPS étant principalement utilisé pour la navigation embarquée, sa fonction est de pouvoir localiser et transmettre en temps réel un signal. D’un instant à l’autre, l’information n’a alors peu d’intérêt d’être conservé et bon nombre de données non-enregistrées se perdent, se diluent dans les flux…

Le paysage contemporain devenu lui-même fluide, étendu et dispersé nous déroute : face à l’abondance de flux d’informations reçus en temps réel et la possibilité de captation partielle de ces images-flux, le potentiel d’observation et de surveillance du GPS apparaît finalement… « faible ». Par ailleurs, ce paysage connecté mais disloqué présente des failles, notamment en ce qui concerne la surveillance des déplacements à l’intérieur de bâtiments ou dans des espaces urbains marqués par la densité de flux. Ainsi apparaissent des ruptures, des vides, ce qui est à la fois insécurisant et rassurant, le malheur des uns faisant le bonheur des autres.

… brouiller les cartes et naviguer

Que l’homme soit angoissé ou fasciné par ce potentiel technologique, de l’usage du GPS – qui induit une certaine acceptation de cette idéologie du contrôle – découle aussi de nouvelles pratiques. Ou l’art de la ré-appropriation. Le GPS au-delà de sa capacité à localiser, renseigner décuple notre imaginaire en favorisant l’extension de notre espace réel, en créant des passerelles entres espaces subjectifs juxtaposés (représentations graphiques, visuelles, sonores, textuelles…). D’où l’apparition dans le champ artistique de propositions (« locative art » à la croisée du land art, de l’art dans l’espace public et des arts numériques) qui viennent interroger ces failles, rompre les flux, redessiner des frontières, s’emparer provisoirement des vides, court-circuiter l’économie globale, écrire le mouvement…

En ce sens, naviguer avec un GPS nous fait cheminer entre cartographie et narration, inventant là une nouvelle forme de langage, une nouvelle manière d’écrire dans l’espace le récit d’un parcours. Tel un retour aux cartographies du Moyen Age et des récits de ces grands voyageurs.

Au XXIè siècle, l’automobiliste équipé d’un GPS s’aventure lui aussi sans carte suivant l’indication de son instrument. Notre « aventurier assisté » en se focalisant sur une trajectoire et des points précis, est devenu certes expert en toponymie mais a complètement perdu (même connecté) la conscience du réseau, du global. Il navigue, produisant son propre itinéraire sur une cartographie temporaire jusqu’au moment de pénétrer une zone à forte densité… Disparu. Dans le flux.

1. plus d’infos : http://fr.wikipedia.org/wiki/Global_Positioning_System

2. Sur Galiléo (le système de positionnement, et non pas la sonde de la NASA envoyée vers ses satellites) :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Galileo_%28syst%C3%A8me_de_positionnement%29

3. Andrea Ulberger (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse) est co-réalisatrice et auteur du site Paysage technologique issu du rapport final de la recherche Paysage technologique. Théories et pratiques autour du Global Positioning System dans le cadre du Programme interdisciplinaire de recherche Art, Architecture et Paysages.

http://www.ciren.org/ciren/laboratoires/Paysage_Technologique/index.html

4. Antoine Picon est l’auteur de La ville territoire des cyborgs aux Editions de l’Imprimeur

5. Peter Weibel est théoricien, artiste et directeur du Centre pour arts et médias (Zentrum für Kunst und Medien) à Karlsruhe.

6. Lev Manovich est théoricien, artiste et programmeur.

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