Visite en tiers-lieux : dossier Bruxelles / Lille épisode #3

Dernier épisode des retours des visites en tiers-lieux entre Bruxelles et Lille !

 

Deuxième et dernier jour de visite en tiers-lieux pour moi. J’ai passé la frontière pour revenir en France et aller à la rencontre d’initiatives lilloises, territoire prolixe et précurseur en la matière.
//// LA COROUTINE
Coworking, auto-gestion, valeurs

Marion et Pol sont là pour m’accueillir et me présenter le lieu et la démarche Coroutine. Marion est depuis quatre mois membre de cet espace de coworking. Elle travaille sur un projet qui cherche à donner aux jeunes l’envie d’entreprendre. Pol a été en service civique à la Coroutine pour développer le côté makerspace. C’est également un membre du mouvement Lille Makers. J’aurais également l’occasion de croiser d’autres membres du lieu, comme Guillaume l’un des membres fondateur, au cours de la préparation et du partage du déjeuner. Voilà ce que j’ai appris de ces échanges.

L’histoire du projet…
La Coroutine existe depuis quatre ans. À l’initiative du projet, on retrouve plusieurs amis ou connaissances ayant pour envie commune de partager leur lieu de travail.  Faute d’avoir trouvé un endroit où travailler ensemble, ils commencent par squatter un grand espace vide au-dessus d’une enseigne connue de vêtements dans le centre de Lille (3000m², rien que ça). La police les en délogera au bout de quelques mois. Ils louent ensuite un appartement rue Molière pendant deux ans avant de trouver l’espace dans lequel ils sont actuellement, quelques mètres plus loin.
Le projet de la Coroutine est un work in progress qui se développe de façon itérative : du prototype vers un projet plus abouti.
Les activités…
La Coroutine est avant tout un espace de travail partagé (coworking) mais pas que… À cela s’ajoute d’autres services comme la location de salles ou les cocourses, distribution de paniers bios par un maraîcher local ouverte aux habitants du quartier.
Fut un temps, le lieu a voulu développer une activité de makerspace. Les fondateurs étant assez ancrés dans la culture libre et ouverte, avoir aussi un makerspace dans la Coroutine faisait sens pour eux. C’est, par exemple,  le premier lieu de Lille à avoir eu une imprimante 3D. Cependant, l’espace n’était pas assez grand pour se développer en fablab. De plus, bricolage et coworking font à priori mauvais ménage. En tous cas ici car, curieusement, le makerspace de Lille s’est monté dans un autre espace de coworking, le Mutualab présenté après. Comme quoi ce n’est pas tant une question d’usage et de voisinage mais plus une question d’espace propice ou non à la mixité des pratiques.
De nombreux projets se croisent à la Coroutine via les coworkers mais aussi via des associations qui utilisent le lieu pour faire avancer leur projet : épicerie collaborative, Lille en communs, Unisson (méthodologie de projets autour des communs)…

Le lieu…
Le lieu se divise entre plusieurs espaces sur deux étages : l’espace de coworking permanent, une cuisine, un espace de travail partagé, un espace détente et une salle de réunion.
Dans l’espace de coworking permanent, les postes sont nomades : il n’y a pas de bureau fixe mais chacun a son petit casier.

Le fonctionnement…
Le lieu est en totale autogestion. Il n’y a pas de salarié pour gérer ou animer l’espace de coworking à proprement parlé. Cela repose sur les coworkers qui paient pour partager un lieu de travail qu’ils animent ensemble.
Le repas, sa préparation comme son partage, est un élément fort de l’identité du lieu. C’est dans ces moments, par exemple, que les choses relatives à l’organisation du lieu sont discutées et non en réunion spéciale. C’est aussi un temps pour entretenir les liens entre les personnes qui partagent l’espace. La cuisine est faite ensemble par ceux qui souhaitent la faire. Il n’y a pas d’agenda dédié à cela, pas d’organisation. Les gens se prennent en main et ça tourne. Un achat groupé auprès d’un maraîcher local (les fameuses cocourses) permettent de nourrir en partie le groupe. Si un coworker veut déjeuner avec ses collègues, il s’inscrit avant 11h au repas et il verse 3€ par repas.
Il existe plusieurs statuts pour les coworkers :
> permanent : 125€/mois.
> zone prix libre : on peut rester une journée à environ 1€ de l’heure.
> prix libre pour les associations qui utilisent le lieu.
Les charges communes (loyer + EDF etc…) sont assumées par les coworkers via leur adhésion. Le projet ne reçoit pas de subventions. Cette indépendance vis-à-vis de l’acteur public est avant tout en réaction à de mauvaises expériences des subventions pour les fondateurs de la Coroutine.
L’autogestion du lieu soulève quelques questions néanmoins parmi lesquelles la rémunération du coworker prenant en charge l’accueil des personnes louant les espaces. Quelle rémunération peut avoir ce coworker pour le temps accordé à cet accueil ? Des discussions sont en cours sur le sujet entre membres de la Coroutine.

La communauté…
La Coroutine compte 60 personnes inscrites dont une vingtaine d’utilisateurs quotidiens.  Webdesigners, développeurs, graphistes, dessinateurs, musiciens.… partagent ce lieu de travail mais aussi des valeurs, une certaine vision du monde au croisement entre la culture de la contribution et celle de l’entrepreneuriat. Ils viennent y chercher des idées, des valeurs, des liens. C’est « un petit lieu de révolution » dixit mes hôtes, catalyseur notamment de la question des communs à Lille.
La notion de tiers-lieu…
… Pour Pol un tiers-lieu est « une maison commune, comme un habitat partagé. C’est une partie de chez moi mais on peut y faire plus de choses que chez soi notamment pour des questions de confiance et de croisement. »
… Pour Marion c’est « un lieu qui répond à des besoins/envies du moment dans lequel tu peux rencontrer des gens qui partagent des choses avec toi, un lieu de proximité où l’on essaie de gérer de la façon la plus simple la vie quotidienne. L’implication des uns et des autres est primordiale pour qu’un tiers-lieu fonctionne. »
//// MUTUALAB
Coworking, entrepreuneuriat, communautés

Mon périple en tiers-lieu entre Bruxelles et Lille se termine au Mutualab, un autre espace de coworking lillois. J’y retrouve Emmanuel, l’un des deux cofondateurs et Hélène, salariée d’Anis et coworkeuse dans cet espace.

L’histoire du lieu…
Il y a cinq ans, Emmanuel, ancien banquier, décide de changer de vie mais souhaite néanmoins continuer à accompagner la question de l’entrepreneuriat. Il constate alors une dynamique forte autour du coworking en Europe, mais pas en France. Il décide de lancer un projet de ce type à Lille avec son associé. Cela ne se fait pas en un jour. Le montage financier se révèle complexe. Les financeurs classiques comme solidaires hésitent à soutenir le projet. Les deux cofondateurs imaginent alors une autre tactique pour pouvoir lancer leur initiative : s’appuyer sur une communauté ayant besoin de ce service et susceptible de s’impliquer dans ce projet. Emmanuel retient (et partage) la leçon. Pour lui, « créer un lieu dépend plus de la communauté que de questions d’argent ».  Neuf mois après la création du projet le lieu s’ouvre. Ils ont déjà déménagé depuis le début du projet et sont depuis un an et demi dans les locaux que je visite aujourd’hui.

Le lieu et ses activités…
Mutualab est un espace de coworking avec un espace temporaire et des bureaux permanents, une cuisine partagée, une salle de conférence/présentation, un restaurant en sous-location, des salles de réunions, un makerspace. C’est grand !
Le lieu est aussi un espace d’accueil pour une quinzaine de communautés de métiers qui s’y retrouvent pour échanger ou y organisent des rencontres. Elles contribuent à l’économie du lieu de façon libre ou vendent des boissons dont les bénéfices vont au Mutualab.
Lille makers se réunit tous les jeudi soirs dans un espace dédié. Si le lieu porte un intérêt certain à la transdisciplinarité, il n’y a pour autant pas beaucoup de croisements entre makers et coworkers dont les pratiques sont souvent éloignées.

Fonctionnement…
Mutualab s’est constitué en association pour des questions pragmatiques (c’est un statut simple à créer) mais aussi éthiques (c’est aussi un statut plus en corrélation avec l’esprit du projet côté gouvernance). Il n’y a pas de salarié qui gère ou anime le lieu. L’espace est co-animé et co-géré par ses utilisateurs. La présence vaut implication dans le lieu.  Bienvenus dans le « Royaume de la doocratie ».
Différents tarifs sont proposés:
> un ticket journée pour venir à la journée/demie journée. Les tarifs sont dégressifs en fonction du nombre de tickets.
> un bureau permanent pour 150€ HT/mois et dégressif fonction du nombre de postes (jusqu’à 4/5 personnes). Cette option est possible pour 3 mois minimum.
Le loyer s’élève à 7000€/mois. Il est couvert par les permanents et la sous-location pour le restaurant (2000€).
Communauté…
Une centaine de personnes se croisent quotidiennement dans ce coworking. Ce sont plutôt des hommes, de 35 ans environ, aux statuts différents (associatif, free-lance, PME…) qui viennent développer leur projet, réseauter, monter en compétences.
Mutualab fait partie du réseau des Cantines comme lieu associé.

La notion de tiers-lieu ?
Pour Emmanuel, cette notion est « très francophone et n’est qu’un morceau du mouvement. Un tiers-lieu est un lieu ouvert qui n’est pas juste un lieu de travail mais où d’autres choses s’agrègent : services, autres espaces…. ».
Voilà pour la visite. Il me reste à partager dans un article à venir mes remarques/enseignements/questionnement suite à ces deux journées assez riches.
À très vite, donc.
Un article-retour de Charlotte Rautureau de l’association PiNG
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