A deux pas d'une des artères principales de Madrid, dans un environnement culturel hyper-institutionnel (Museo del Prado, Caixa Forum, Museo Nacional Reina Sofia…), le Medialab Prado relèverait presque de l'infra-urbain. Tactique de disparition ou zone de voisinage sensible ?
Sur la plaquette en espagnol, on traduit facilement : «MEDIALAB-PRADO est un espace ouvert au public dédié à la culture digitale développant des activités de production, de recherche et de diffusion, au croisement des arts, sciences, technologies et de la société ». Un espace ouvert donc, avec un remarquable plan d'accès disponible en ligne, à priori simple à trouver.
En arrivant métro Atocha, un peu déroutée par cette grande artère, impossible de m'orienter. Je commence à bricoler en espagnol un « dunde el medialab prado? ». Je fais plusieurs tentatives auprès d'une personne âgée, de deux jeunes ados, d'un fringuant trentenaire et d'un policier. Je désespère. Je me vois déjà rentrer dans le mac do pour me connecter, c'est moche. Finalement un hôtel international à deux pas me tend les bras, je rentre et réitère ma question auprès de la réceptionniste multilingue. Hein hein quoi. Non elle ne connaît pas le Medialab mais sympathique, elle me propose 10 minutes de consultation libre sur l'Ordinateur qui trône majestueusement dans le hall de l'hôtel.
Je visualise la cartographie du quartier sur http://medialab-prado.es, désormais j'ai le plan en tête, c'est vraiment à deux pas je m'en doutais. Tandis que je marche, j'imagine la même scène à Nantes : un espagnol qui descendrait du tram à Longchamp et qui demanderait aux passants Route de Vannes « il est ou lé Crealab du trenté houit Breil ? ». Même blocage et pas uniquement linguistique.
J'arrive enfin Plaza de las Letras, pas de medialab, je me vois déjà faire demi-tour, re-demander mon chemin avant de comprendre que ce que je pensais être une place publique en travaux squattée par des bienheureux se révèle être l'entrée même du médialab. Il me faut enjamber des câbles, passer sous une échelle et me voilà enfin dans les murs. J'arrive avec une bonne demi-heure de retard, pas gênant visiblement, Laura Fernandez avec qui j'avais rendez-vous discute avec un collectif d'artistes. Elle m'offre un café et on entame tout azimut une micro- interview.
-Qu'est ce que tu fais au Medialab ?
-Je suis manager culturel depuis 4 ans.
-Combien êtes vous ici ?
-11 personnes dont 4 médiateurs.
-Pas facile pour vous trouver, vous n'avez pas imaginé une présence des médiateurs en extérieur aussi ?
-Oui c'est vrai qu'on a un problème de visibilité et de signalétique, en plus en ce moment il y a les travaux…
-Et sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
-On a 5 chantiers thématiques depuis 2 ans, dans chacun de ces chantiers on organise tous les ans un workshop avec un appel à participation, un appel à collaboration,une exposition et de la documentation pour le public (voir l'actuel Appel à Projets : PlayLab).
-Avec quelle économie fonctionnez-vous pour l'organisation de ces workshops ?
-Pour les porteurs de projets sélectionnés, on défraie le transport et l'hébergement, on assure un petit budget production, documentation et on propose également une assistance technique et un tutoring. Pour les collaborateurs, on assure juste l'hébergement.
-En interne, comment collaborez-vous sur les workshops, qui fait quoi ?
-Il y a une personne qui s'occupe de la production qui assure donc la logistique et l'accueil ; il y a les managers investis sur la coordination, c'est à dire tout le travail de communication, la sélection des projets jusqu'au bon déroulé du workshop. Enfin les médiateurs sont impliqués dans le processus, ce sont eux qui font le lien avec le public curieux qui passe la porte du Medialab durant le workshop. Ils filment, prennent des photos, l'indispensable reporting. Même si en réalité c'est pas toujours aussi simple de documenter, d'archiver, produire des ressources alors que bien évidemment pour être davantage visible à l'extérieur, faire connaître ce qui se passe à l'intérieur, cela devrait être une priorité.
-Qui fréquente le medialab en mode open space ?
-Des étudiants, des collaborateurs, des associations amies mais pas vraiment les gens du quartier, il n'y a pas réellement de connexions.
-Quelles sont les modalités pour y accéder ?
-Il n'y a pas de système d'adhésion, on ne peut pas faire payer le public étant donné qu'on reçoit des financements publics pour être justement ouvert et accessible à tous. Cette question de l'économie sera intéressante à mettre en débat avec les autres partenaires du projet LABtoLAB : quelle philosophie, quelle stratégie, quelle ressources propres pour l'économie des medialabs.
-Et comment est perçu le medialab de l'extérieur ?
-Disons qu'il y a différentes échelles. Au niveau international on est très bien identifiés, en réseau avec d'autres lieux et les appels à projets fonctionnent bien, n a de plus en plus de demandes et on reçoit vraiment des projets de qualité. Au niveau local c'est une autre histoire. Même au sein du service culturel de la ville, notre projet n'est pas toujours très bien compris. Et au niveau du voisinage, on ne peut pas dire qu'il y ait une réelle appropriation du projet mais c'est quelque chose sur lequel on souhaite se pencher. Après le workshop « Garage Science » [1] on veut proposer une nouvelle thématique « Neighborhood Science » dans l'idée d'utiliser le web et la création numérique pour interroger, ré-inventer la notion de proximité, la pratique sociale d'un espace commun.
Nous coupons court à la conversation, le Medialab disposant d'un seul mais néanmoins grand espace de travail, nous laissons la place à la communauté Drupal [2] qui régulièrement vient proposer des temps de rencontre. On continue à évoquer la thématique de « neighboorhood science » en se disant qu'on a là un beau sujet à explorer dans le cadre d'un workshop LABtoLAB et que les projets de certains participants (les cartographies urbaines sensibles de Constant,le Digital Junk Club d'Area10 à Londres etc) seront autant d'expériences intéressantes à confronter, croiser, remixer, partager. Premier rendez-vous, du 7 au 11 décembre 2009 à Budapest au Kitchen innovative lab. Dunde ?
Interview de Laura Fernandez 12/10/09 par catherine@pingbase.net
[1] Garage Science où la production fertile de tout à chacun, à la maison, dans son garage : concept du "laboratoire-maison" (du labo photo aux studios d'artistes, aux lieux de répétition etc). Le workshop Garage Science a eu lieu en février 2009 avec la participation du Critical Art Ensemble.
[2] Drupal permet de propulser du site web "complexe et sur mesure". Pour aller plus loin, le site de Drupal France : http://drupalfr.org